La photographie (compositing) dans l’animation

La photographie, aussi appelée compositing, est un rôle souvent méconnu ou incompris dans la production d’un anime. En quelques mots, il s’agit du dernier maillon de la chaîne de l’animation où s’empilent les différents matériaux d’un cut (personnages, effets, 3D, décors…) ainsi que les effets de caméra. Le but est simple : créer une harmonie crédible entre ces éléments, comme s’ils coexistaient dans un même monde.

Explorons ensemble l’origine et l’évolution de la photographie, ses artistes les plus talentueux, ou encore ce qu’est le « bon compositing ».

Rôles autour de la photographie

Directeur de la Photographie (撮影監督/Director of Photography/DoP) : Le DoP est responsable de l’esthétique de la série avec le Réalisateur. Il prépare le terrain pendant la pré-production en créant divers scripts, et sera généralement impliqué dans le processus de photographie par la suite. C’est également à lui d’assigner les différentes parties d’un épisode à son équipe de photographie. Certains membres ont souvent des domaines de prédilection comme les effets, les particules, les affichages numériques… C’est donc à lui d’assigner correctement les séquences d’un épisode à son équipe.

Photographie (撮影/Photography/Compositing) : La photographie (ou compositing) correspond à tout ce qui se passe après la colorisation, jusqu’à l’apparence finale d’une séquence. Cela comprend la superposition des décors, matériaux en 2D et 3D, les dégradés de couleurs sur les personnages, les changements de colorimétrie, les effets spéciaux, les effets de caméra… Les personnes en charge de la photographie doivent suivre les consignes que l’animateur a préalablement notées ainsi que du Directeur de la Photographie.

L’origine

Le terme « photographie » provient de l’époque des celluloïds, où des caméras étaient utilisées pour photographier les matériaux au-dessus des décors. Le photographe prenait alors une photo pour chaque image de l’animation. C’est donc un procédé qui a toujours existé, et nous verrons ensuite comment l’arrivée du numérique a révolutionné son déroulé.

Même si cela peut sembler archaïque, les personnes en charge de la photographie savaient toujours redoubler d’imagination pour reproduire les effets souhaités. La disposition de la caméra vers le bas face aux différents celluloïds permettait plusieurs techniques. Par exemple, l’effet parallaxe permet de donner une sensation de profondeur en déplaçant les celluloïds à des vitesses différentes.

Séquence de Mon voisin Totoro | Animation : Masaaki Endo (Sakugabooru | Twitter) | Sakugabooru

Le fait d’avoir les celluloïds à portée de main permettait aussi quelques expérimentations intéressantes. Des autres techniques impliquaient l’exposition et le rembobinage du film. Par exemple, on pouvait créer des sources de lumières en trouant le celluloïd et en y laissant échapper de la lumière. On pouvait aussi rembobiner le film en surexposant une partie de l’image. Créer des reflets utilise une technique similaire en sous-exposant le celluloïd deux fois avec une zone d’ombre.

Création d’une ombre à opacité de 50% avec des celluloïds
Création d’une ombre à opacité de 50% avec des celluloïds | Source : dA-tools.com

Mais vous l’aurez compris, ces méthodes ont malgré tout des limites physiques et aussi temporelles. Une simple erreur implique de recommencer tout le processus, et les celluloïds et le film doivent être manipulés avec précaution. L’approche par tâtonnements du numérique et les Ctrl + Z étaient loins d’être possibles ici. Cependant, beaucoup de personnes regrettent cette époque où l’on pouvait presque imaginer le staff peindre des celluloïds et les photographier pas à pas.

Le passage au numérique

Si vous lisez ceci, il ne fait pas de doute que vous avez déjà été confronté aux nombreux commentaires tels que « L’animation est vraiment incroyable pour un vieil anime ! ». Pas de surprise, il s’agit d’une des idées reçues les plus persistantes dans l’animation. En effet, la numérisation n’a jamais changé l’essence du processus d’animation clé. Cependant, la photographie a beaucoup bénéficié de ce passage au numérique.

L’écrasante majorité de l’industrie utilise le logiciel propriétaire Adobe After Effects, leader sur le marché. Beaucoup de problèmes appartiennent maintenant au passé : rembobinage, dégradation des celluloïds… After Effects permet d’empiler d’innombrables calques et d’exporter rapidement le résultat. En plus de cela, de nombreuses formules mathématiques sont disponibles et permettent de nouvelles techniques. Par exemple, vous avez certainement remarqué l’omniprésence de dégradés afin de rajouter du volume aux personnages, ou encore l’utilisation de VFX.

Comparaison de photographie sur Sword Art Online: Alicization – War of Underworld par Kentarō Waki

Mais en plus de ces éléments, le plus grand atout de la photographie numérique dans l’industrie est sans doute la réutilisation d’assets, plug-ins et scripts. Il est par exemple possible de réutiliser les effets appliqués à un personnage, ou l’ambiance d’une scène en particulier. Cela s’utilise régulièrement pour des séquences de flashback, où un filtre noir et blanc ou sépia peut être réutilisé. Cependant, nous verrons que ces améliorations peuvent être à double tranchant.

Bon compositing

Mais après avoir vu tout ça, une question se pose : Qu’est-ce qu’un bon travail de photographie ? Bien sûr, une partie de la réponse réside dans nos préférences personnelles. Mais la photographie suit l’objectif qui a été cité précédemment : créer un ensemble cohérent et harmonieux.

Pendant la phase de pré-production d’un anime, les Directeurs de la Photographie et des Décors décident d’une esthétique avec le Réalisateur de la série, qui a le dernier mot sur celle-ci. Pour Mob Psycho 100, l’esthétique choisie a un style « crayonné » bien marqué. Au contraire, Ryū Nakayama a souhaité que l’adaptation animée de Chainsaw Man adopte un style cinématographique, et donc réaliste.

Le Directeur de la Photographie va alors suivre ces consignes ou agir seul pour créer des scripts pour les différents filtres, traitements de personnages, effets et environnements qui seront récurrents dans l’anime. Une phase de pré-production saine est donc essentielle pour créer un univers avec une esthétique plaisante. Bien sûr, cela n’empêche en rien des ajustements des effets au fur et à mesure de la production.

Le travail de photographie n’a pas besoin d’être extrêmement chargé ou réaliste pour être bon. Il doit simplement rendre l’univers cohérent et crédible, dans le contexte dans lequel il a été décidé. Un compositing volontairement simpliste et brouillon comme celui de Mob Psycho 100 ou Ousama Ranking n’est en aucun cas mauvais ou incomplet. Au contraire, il complète avec brio l’univers de sa série.

Captures d’écran de Mob Psycho 100 et Ousama Ranking
Captures d’écran de Mob Psycho 100 et Ousama Ranking

En résumé, le compositing doit mettre en valeur le travail des personnes impliquées sur une séquence. C’est-à-dire qu’il doit le pousser vers l’avant, y apporter un complément, mais ne pas le ternir. Pour Mob Psycho 100, cité précédemment, le traitement rend les effets opaques, mais respecte toujours leurs formes et leurs intentions. De même pour Black Clover : malgré ses problèmes de production et de photographie, le réalisateur Tatsuya Yoshihara a donné comme consigne principale de ne jamais flouter les contours d’effets comme la fumée. Ces effets étant dessinés avec une intention claire par les animateurs, Yoshihara considère que ce serait du gaspillage de les flouter. Un style de la photographie réaliste exige en retour le sacrifice de détails dessinés par l’animateur, et il est tout à fait légitime d’en être frustré.

Il n’est pas rare de voir des réactions mitigées sur une séquence avec des effets ou du background animation en 2D peu texturé dont les traits de l’animateur sont laissés intacts par le compositing. C’est un constat préoccupant : la surabondance d’effets a conditionné beaucoup de fans d’anime à penser que la présence de dégradés et de textures est obligatoire. Pourtant, l’animation a toujours été axée sur la mise en valeur des dessins. L’inverse se constate aussi : vous voyez sûrement souvent des personnes complimenter l’animation d’une série… avec un plan fixe, ou un dessin principalement mis en valeur par la photographie. Il y a quelques jours, j’ai lancé un sondage sur Twitter afin de voir ce que vous incluiez dans le terme « animation », et les résultats sont intéressants.

Si j’ai dit auparavant qu’une partie du compositing est subjective, c’était en rapport avec le choix esthétique. Il existe de nombreux cas de « mauvais compositing » où l’intégration de certains éléments n’est pas réussie, ou à cause d’effets qui piquent les yeux. Un bon compositing doit vous donner l’impression d’une coexistence dans un monde, et non pas l’impression de pouvoir identifier chaque calque d’une composition. Il s’agit un problème assez récurrent avec l’utilisation de CGI. Dans une interview, Kōji Tanaka (Usagi Drop, Guilty Crown, FLCL Alternative…) estime que si les spectateurs remarquent le traitement de photographie, il a l’impression d’avoir fait un mauvais travail. Évidemment, ce n’est pas car une séquence ou un épisode d’une série possède un mauvais compositing que c’est le cas de toute la série. Notre but n’est pas non plus d’enfoncer les créateurs qui travaillent dur dans l’industrie : nous sommes pleinement conscients du challenge (parfois impossible) de délivrer un travail satisfaisant dans de telles conditions. Sur les cas cités précédemment, le DoP Teppei Itō nous a montré qu’il était pleinement capable de réaliser un travail de photographie plus que convaincant sur Chainsaw Man. Tomoyuki Kunii nous a aussi démontré son talent lorsqu’un temps acceptable lui est alloué, comme sur l’OP11 ou l’ED10 de Black Clover.

Interne et sous-traitance

En parlant de bon compositing, les chances sont très hautes pour qu’ufotable vous vienne à l’esprit. Mais Kyoto Animation (qui a un article dédié sur KeyFrame) peut se vanter d’être sur un pied d’égalité. Leur force réside principalement dans leur savoir-faire interne et leur philosophie. En effet, avoir des départements de photographie et de 3D en interne est un luxe qui facilite énormément la communication entre les réalisateurs, animateurs et directeurs de la photographie. En tant que DoP, pouvoir communiquer directement avec le réalisateur et travailler avec une équipe familière est une aide majeure.

Mais bien sûr, cette force n’est rien sans des personnes talentueuses. Yūichi Terao est un très bon exemple chez ufotable : Il s’agit sans aucun doute de l’un des meilleurs Directeurs de la Photographie existants. Chef du département de Photographie et DoP, il est un véritable pilier du studio. Son travail définit l’esthétique d’ufotable depuis bientôt 15 ans, en plus d’avoir une influence majeure dans l’industrie. Il ne fait pas de doute que vous avez déjà été agréablement surpris devant son travail sur la série Fate, Kara no Kyoukai, ou encore Kimetsu no Yaiba. L’intégration y est parfaitement réussie, et son compositing nous plonge directement dans l’univers de ces séries.

Séquence de Fate/stay night: Heaven’s Feel II Lost Butterfly | Animation : Nozomu Abe | Sakugabooru

Si quelques studios peuvent se permettre d’avoir des équipes de photographie en interne, comme l’équipe assez restreinte de Pierrot (Pierrot DAR) qui s’occupe de Boruto, peu sont celles qui peuvent se permettre de cumuler plusieurs séries à la fois avec le planning peu permissif de l’industrie. Pour cette raison, environ deux tiers des anime récents sous-traitent leur compositing.

Sous-traitance de la photographie en automne 2019

Le graphique ci-dessus réalisé par Xaryen montre très bien à quel point l’industrie dépend de la sous-traitance, étant en plus biaisé en faveur de l’interne à cause du système de crédits. Nous l’avons vu plus haut, la sous-traitance rajoute des étapes mais aussi de la distance entre les équipes. Le manque de communication rend les retakes difficiles voire impossibles. De plus, certains de ces studios ne sont pas des studios de photographie : ils utilisent simplement leur propre département de photographie pour de la sous-traitance. Ces studios travaillent donc généralement sur beaucoup de séries à la fois, et peinent à rendre un travail satisfaisant.

Mais parmi ces studios de sous-traitance, il en existe un qui sort particulièrement du lot : Asahi Production. Fondé en 1973, il était tout d’abord un studio dédié au compositing et à la production de vidéos promotionnelles. Parmi ses talents, on peut citer Kazuhiro Yamada (Shingeki no Kyojin S1-S3, Akudama Drive, BLEACH: Thousand-Year Blood War) et Kentarō Waki (Mobile Suit Gundam Hathaway, Mobile Suit Gundam Thunderbolt, Sword Art Online: Alicization) qui a quitté le studio en 2022. Le studio s’occupe également de One Piece depuis l’arc Wano (en passant par Hideki Chiba puis Tomoya Hosaka).

Travail de photographie de Kentarō Waki et Kazuhiro Yamada
Moitié gauche : Kentarō Waki | Moitié droite : Kazuhiro Yamada

Il ne fait pas de doute qu’au moins une de ces séries vous a impressionné de par son travail de photographie, et à juste titre. Malgré les restrictions habituelles de la sous-traitance comme la communication, le studio est rempli de talents capables malgré tout de délivrer un compositing très satisfaisant, parfois meilleur qu’en interne. Cela est dû à une très bonne compréhension de l’univers de la photographie depuis des années, et grâce à une excellente formation des nouveaux membres. Yuki Ōshima, qui a été formée par Waki, a notamment pris sa relève sur Sword Art Online: Progressive.

Le déclin

Malgré tout, la photographie reste le dernier maillon de la chaîne. Alors qu’elle peut embellir une série, elle peut aussi produire l’effet inverse. La rapidité du numérique encourage l’effet « toujours plus » de l’industrie. Avec des périodes de pré-productions restreintes et des plannings catastrophiques, nombreux sont les anime qui ne passent que quelques minutes sur la photographie de chaque cut, en utilisant simplement des scripts déjà pré-faits à la hâte. Avec cette accélération infernale de la cadence et l’utilisation excessive de la sous-traitance dans le milieu, une majeure partie du travail de photographie des séries récentes ne se repose que sur un nombre restreint de studios. Il devient alors difficile de faire de la place pour des séries supplémentaires. Même la tâche compliquée de Directeur de la Photographie est parfois donnée à des personnes peu expérimentées, même en interne. Les studios ou départements de photographie travaillent généralement sur plusieurs séries à la fois, et il n’est pas rare de voir un déclin de la photographie sur des anime avec un staff pourtant talentueux. Il ne fait pas de doute que la fermeture d’un de ces studios aurait un grand impact sur l’industrie.

Comme nous avons pu le voir, la Photographie est une étape cruciale dans la production d’un anime qui contribue grandement à l’immersion du spectateur dans l’univers de celui-ci. Si la nuance de ce terme pour l’animation japonaise était presque inconnu il y a quelques années, l’attrait des spectateurs pour des séries avec un excellent travail de photographie se développe de plus en plus. C’est donc un élément à ne pas négliger, et un rôle soumis à la même pression que le reste de les autres maillons dans la production d’un anime.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Défilement vers le haut