Kyoto Animation : L’histoire d’un studio unique dans l’animation

Introduction

Kyoto Animation est un studio unique dans le milieu de la Japanimation. Reconnu mondialement pour des œuvres telles que K-ON!, Hyouka, A Silent Voice, Violet Evergarden et Hibike Euphonium, le studio s’est frayé une place au Panthéon de l’animation japonaise tout en conservant une philosophie à des années-lumière des standards de l’industrie actuelle.

KyoAni (diminutif de Kyoto Animation) est considéré comme le studio le plus sain et le plus stable à la fois économiquement et humainement parlant. Alors si leur recette fonctionne si bien sur tous les plans, pourquoi aucun autre studio ne tente de les imiter ? D’où vient la singularité de KyoAni que tous les autres envient sans pouvoir atteindre ?

Pour mieux comprendre comment le studio en est arrivé là aujourd’hui, il faut retracer son histoire et évoquer tous les événements et les personnes qui ont œuvré à guider KyoAni au sommet.

Les Fondations

Au début des années 80, Yoko Hatta, coloriste chez MUSHI PRODUCTION, quitte le studio et déménage à Kyoto après s’être mariée à Hideaki Hatta. Peu de temps après, elle fonde dans sa nouvelle ville un collectif, spécialisé en colorisation, du nom de Kyoto Anime Studio. Rapidement, le jeune studio se retrouve à travailler sur des productions de grands noms du milieu comme Sunrise, Tatsunoko Production et Studio Pierrot. Mais sa plus grande particularité, ce sont les membres de ce collectif : les coloristes qu’Hatta engage sont toutes des femmes au foyer de son quartier qui ont du temps pour travailler depuis chez elles.

Le 12 Juillet 1985, elle fonde le studio professionnel Kyoto Animation avec son mari Hideaki Hatta, sur les bases de son précédent groupe. Hideaki est nommé officiellement président du studio mais Yoko garde toujours le dernier mot sur les décisions prises en tant que co-fondatrice.

Seulement 1 an après sa création, KyoAni ouvre son propre département d’animation. Progressivement, le studio devient multitâche en intégrant en son sein dès les années 90 un département d’intervallistes et d’animateurs clés puis un département de décor et enfin de photographie.

Avant cela, il était néanmoins déjà parvenu à s’immiscer dans des productions prestigieuses telles qu’Akira en 1988 et Kiki, la petite sorcière en 1989.

Crédits d’Akira et Kiki, la petite sorcière
Crédits d’Akira et Kiki, la petite sorcière

1987 – 1992 : Des débuts prometteurs

L’un des premiers moments charnières de l’histoire de Kyoto Animation remonte à 1987. Le studio était encore récent mais avait déjà suffisamment créé de connexions avec le studio Tatsunoko Production pour attirer l’attention du désormais légendaire Mitsuhisa Ishikawa. Cherchant à l’époque un moyen de s’indépendantiser de Tatsunoko Production, il confia à KyoAni une partie de la production de Zillon qui se révéla être la première fois que le studio s’investit autant sur une seule production (réalisant toute la partie « Finish Animation »). Bien que n’étant pas réellement préparé à cela, le studio sut rendre un travail très satisfaisant aux yeux d’Ishikawa. Dès lors, KyoAni obtint la confiance du producteur qui fit par la suite de Hideaki Hatta l’un des premiers actionnaires de sa nouvelle filiale : I.G Tatsunoko (renommé Production I.G en 1993).

En 1992, KyoAni révéla sa première série en co-production avec SHIN-EI DOUGA : l’OVA Noroi no One Piece. Les productions précédentes du studio étaient plutôt destinées à la publicité, donc ce fut une nouveauté pour KyoAni et pour son réalisateur phare Yoshiji Kigami. En effet, après avoir étudié à la Tokyo Designer Gakuin, puis avoir rejoint le studio SHIN-EI ANIMATION en 1979 et avoir co-fondé le studio de sous-traitance ANIMARUYA en 1982, Kigami fut recruté par Hideaki Hatta pour son expérience sur Le Tombeau des Lucioles et sur Akira, mais aussi pour son style singulier. Son approche réaliste et détaillée ainsi que son soin apporté au mouvement des personnages devint ainsi l’élément central dans l’esthétique de KyoAni. Il était aussi connu pour sa maîtrise des mouvements de caméra complexes qu’il avait apprise auprès de son mentor Hiroshi Fukutomi lorsqu’il travaillait sur Sasuga no Sarutobi.

Pour toutes ces raisons, Yoshiji Kigami fut chargé de réaliser la première production indépendante du studio, à savoir Munto en 2003. Bien que la série fut saluée pour son animation et sa réalisation, elle reçut quelques critiques vis-à-vis de son scénario.

1993 – 2002 : Une reconnaissance acquise au fil des productions

Comme évoqué dans la partie précédente, Kyoto Animation a attendu 2003 avant de produire sa première production indépendante. Ainsi, dans les années 90 et au début des années 2000, le studio fait principalement de la sous-traitance.

La sous-traitance est une pratique très courante dans la Japanimation qui consiste à participer à la production d’un épisode d’un autre studio. C’est avantageux pour les deux partis car d’une part, le studio mère gagne du temps sur la réalisation de la série et peut ainsi consacrer plus de temps aux épisodes importants. D’autre part, le studio sous-traitant œuvre avec moins de responsabilités et est soulagé de tout le travail fait en amont et en aval de leur intervention.

Ainsi, KyoAni se spécialise dans la sous-traitance, mais la particularité du studio, qui lui a permis de s’imposer et d’acquérir de la reconnaissance dans l’industrie, réside dans la qualité du travail qu’il fournit déjà à l’époque. Le studio s’évertue à toujours rendre un travail soigné, et cela en étant capable de gérer tous les aspects de la production, ce qui est loin d’être la norme chez ses concurrents.

En effet, lorsqu’un studio sous-traite à une compagnie, c’est souvent pour une ou deux étapes dans le processus d’animation (la colorisation et l’in-between par exemple). En découle la possible présence de multiples studios pour gérer les différentes étapes de la confection de l’épisode, ce qui n’est pas toujours convenable.

Pour prendre un exemple plus concret, mettons qu’une partie de l’épisode nécessite 3 plans où les intervalles et la colorisation doivent être faits. Le studio contacté ne pouvant pas se charger de la colorisation (pas d’équipe pour l’assurer), il doit à son tour en contacter un autre, et ainsi de suite. Cela a pour conséquence de complexifier grandement la production de l’épisode en question et peut entraîner une baisse notable de sa qualité.

Dans le cas de KyoAni, le studio est muni de tous les départements nécessaires pour se charger de la conception complète d’un épisode. Ainsi, lorsqu’il leur est demandé de sous-traiter, le studio a la capacité de tout faire. Ce désir d’internaliser au maximum les productions prend racine à la fois dans les ambitions initiales du couple Hatta mais aussi potentiellement dans la localisation du studio. Puisque la majeure partie des studios d’animation sont situés à Tokyo, sous-traiter depuis Kyoto a des contraintes : plus il y a d’aller-retours humains ou de matériel entre les deux villes, plus cela est coûteux. C’est pourquoi il est possible que la philosophie de KyoAni ait coïncidé avec un côté pratique à l’époque pour pousser le studio à se développer et à intégrer tous les départements de création d’un épisode.

Le début des années 2000 marque un tournant pour le studio. Dans un premier temps, KyoAni ouvre une nouvelle filiale du nom de Animation DO situé à Osaka. La décision de localiser ses studios loin de la capitale s’avéra au final assez préjudiciable puisqu’elle causait régulièrement le départ de talents du studio. D’autres membres du studio le quittaient pour une multitude de raisons différentes, les plus courantes étant : la concurrence féroce au sein de KyoAni et la volonté de se lancer en tant que freelancer, bien que les conditions de travail d’un freelancer sont nécessairement moins bonnes qu’au sein du studio.

Une vague de départ chez les employés historiques du studio fut à déplorer au début des années 2000. On peut penser par exemple à ses deux premières réalisatrices : Yoshiko Shima et Tomoe Aratani. Cette dernière avait été temporairement transférée à Nintendo, et elle apprécia tellement l’expérience qu’elle décida d’y rester.

Animation de The Legend of Zelda | Animation : Tomoe Aratani (Sakugabooru) | Sakugabooru

Un départ en particulier se révéla néanmoins plutôt bénéfique pour KyoAni, il s’agit de celui de Yutaka Yamamoto, connu sous le nom de « Yamakan ». Alors qu’il avait été pendant un temps la figure principale d’AniDO (diminutif de Animation DO) en développant un style et une esthétique propre, qu’illustre parfaitement la chorégraphie du Hare Hare Yukai, il fut prématurément nommé réalisateur sur la série Lucky Star, ce qui lui valut d’être démis de ses fonctions au bout de 4 épisodes seulement. Ne réussissant pas à retrouver un rôle de réalisateur auprès de KyoAni, il quitta le studio et fonda le sien, avec plusieurs de ses anciens collègues, nommé Ordet. Cependant, le studio s’écroula après quelques productions majeures comme la participation en tant qu’assistant de A-1 Pictures sur Kannagi ou l’OVA Black Rock Shooter car personne ne voulait travailler avec Yamakan. Ses collègues le fuirent tous un à un, en grande partie pour ses comportements inappropriés auprès des femmes, ses remarques discriminatoires à l’égard des fans d’anime chinois et coréens et ses déclarations douteuses sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs potentiellement en partie pour sa toxicité qu’il avait été écarté des rôles importants lorsqu’il travaillait avec KyoAni.

Se rendant compte de la difficulté à attirer et à maintenir des talents hors de Tokyo, KyoAni commence à penser sa stratégie différemment en se basant sur la formation de jeunes pépites. Le studio ouvre une école d’animation en son sein, avec pour objectif de former les futurs animateurs avec les membres du studio. Les étudiants ont par la suite la possibilité, s’ils le souhaitent, de passer un test pour être employé à plein temps dès l’obtention de leur diplôme.

Cette nouvelle ligne directrice du studio était en réalité une ambition voulue par le couple Hatta avant même la création de KyoAni. Le succès de cette école a cependant complètement dépassé leurs attentes. En fonctionnant avec le personnel du studio comme instructeur, elle a fait plus que former des professionnels de l’animation, elle a formé des talents rompus aux idées et à la manière de faire de KyoAni. De nombreux diplômés de KyoAni se sont illustrés depuis la création de l’école notamment par la solidité de leur bagage technique. En quittant le studio au fil des années, leurs qualités ont fait d’eux des artistes majeurs des compagnies qu’ils rejoignaient. Si bien que les talents de l’école de KyoAni ont fini par façonner l’industrie et par laisser leur marque de façon permanente dans des studios concurrents.

Pour n’en citer qu’un, Naoya Nakayama, diplômé de la 19ème génération et employé pendant 5 ans à KyoAni, a mis en lumière toute la qualité de sa formation en étant un élément principal de la production de Kaguya-sama: Love is War. En somme, c’est dans l’école de KyoAni que réside l’une des plus grandes richesses du studio et l’une des raisons de son succès.

Ending spécial de l’épisode 3 de Kaguya-sama: Love is War | Animation : Naoya Nakayama (Sakugabooru | Twitter) | Sakugabooru

2003 – 2010 : La stabilité et la transition vers le numérique

Cette période 2003-2010 voit Kyoto Animation prendre son envol et devenir une entité à part entière dans l’industrie de l’animation japonaise. La philosophie que le studio s’est efforcé de conserver toutes ces années et qui l’a projeté sur le devant de la scène se résume en deux aspects qui seront développés ci-après.

Dans un premier temps, KyoAni met un point d’honneur à confier le statut de salarié à ses employés. Il est monnaie courante dans l’industrie que les studios d’animation fassent appel à des indépendants pour travailler sur leurs productions. En effet, le statut de salarié est coûteux pour une entreprise car elle doit payer des charges supplémentaires en comparaison à un indépendant qui facture seulement son travail. Cependant, ce statut salarial est beaucoup plus avantageux pour les travailleurs car il leur donne accès à des allocations, une meilleure retraite, une situation stable et des congés payés.

En particulier pour le personnel féminin : KyoAni est l’un des studios les plus en avance sur la question de l’égalité homme-femme en ne faisant aucune discrimination à l’embauche, mais surtout en garantissant le congé maternité via le statut de salarié. Ainsi, KyoAni obtient progressivement la réputation de bien traiter ses employés et de proposer un cadre agréable pour eux, ce qui est loin d’être le cas pour tous ses concurrents.

Dans un second temps, le studio commence dès 2003 à se consacrer à leurs propres productions. L’OVA de Munto a déjà été mentionné plus tôt et de son succès découle une adaptation TV et un film en 2009. Néanmoins, Munto étant une œuvre assez oubliable, une autre franchise du studio l’a rapidement éclipsée aux yeux du public : Full Metal Panic? Fumoffu, première série TV indépendante du studio diffusée fin 2003.

Revenons en 2002 quand FUJI TV voulait animer un spin-off du populaire Full Metal Panic! avec KADOKAWA à la mise en place du comité de production. Cependant, au lieu de le confier au studio GONZO comme pour la série principale, le producteur de KADOKAWA Atsushi Itō s’est risqué à confier la série à un studio qui avait l’ambition de produire l’animation de sa propre série pour la première fois : KyoAni. Yasuhiro Takemoto est nommé réalisateur sur le projet et mène à bien sa mission décisive de sortir le spin-off de Full Metal Panic!. Malgré tout, ne faisant pas partie du comité de production, le studio ne bénéficia pas des recettes de l’anime.

Plus tard en 2004, le producteur Yoshihisa Nakayama de TBS, voyant le travail de KyoAni, décida de s’associer à eux pour produire Air, diffusée fin 2005, leur deuxième série autoproduite. Ce fut un succès commercial et KyoAni put mettre la main sur une partie des revenus des ventes. Le cycle s’est par la suite poursuivi entre KADOKAWA et TBS/PONY CANYON pendant près de dix ans avec KyoAni évoluant dans les comités de production. Juste avant cela, le studio avait réussi le pari de sortir en 2005 FMPF Second Raid, en prenant en charge l’entièreté de la production. Cette deuxième saison, en plus d’avoir été produite indépendamment, est une vraie réussite car le studio est parvenu à changer le ton de l’anime sans en perdre son essence : de base plutôt axé sur l’action avec des méchas, KyoAni en fait une série slice of life qui fonctionne à merveille.

D’autres réalisations permettent à KyoAni de se démarquer dans cette période et notamment les adaptations des œuvres de KEY, poussées par le génie Tatsuya Ishihara. En tant que fan des Visual Novels du studio KEY, il propose lui-même d’en réaliser les adaptations. Il obtient gain de cause l’adaptation de Air en 2005, puis de Kannon et de Clannad. Ces adaptations servent grandement le studio en parvenant à attirer un nouveau public, à savoir la communauté « Otaku ».

Dans cette même lignée et sur les bases de cette nouvelle audience conquise, Ishihara se charge de l’adaptation d’un Light Novel populaire des années 2000 qui fait passer KyoAni dans une autre dimension : La Mélancolie de Haruhi Suzumiya, un titre que l’on a longtemps pensé impossible à adapter en anime. Après sa préproduction en 2005, l’anime est diffusé en 2006 et fait parler de lui dès son lancement. En effet, le studio, avec l’accord de l’auteur du novel, a fait le pari osé de sortir les épisodes dans un ordre différent de l’ordre chronologique, ce qui a attisé la curiosité des spectateurs dès le premier épisode. KyoAni ne s’arrête pas là et continue de faire preuve d’ingéniosité pour la licence, malgré des contraintes de production comme le fait que l’auteur ne parvenait pas à écrire à un rythme suffisant.

Le studio diffuse en 2009 un nouvel arc nommé « Endless Eight » où chacun des 8 épisodes raconte les mêmes évènements d’une manière différente. Chaque épisode est refait de 0 : un nouveau directeur est nommé et reprend le storyboard mais aussi le doublage de l’épisode à sa façon.

Crédits de l’arc Endless Eight
Crédits de l’arc Endless Eight

Haruhi doit en partie son succès à l’essor des forums et d’internet en général. Les concepts géniaux et novateurs qu’ont mis en place le studio, amènent les fans à discuter entre eux et à répandre leur intérêt pour l’anime même en dehors du Japon, en particulier grâce à la facilité nouvelle d’utiliser des sites de partage vidéo. Parallèlement, le producteur KADOKAWA joue de cette nouvelle façon d’interagir pour les fans en mettant en ligne exactement le même site que celui de l’anime et en le faisant évoluer au fil des épisodes de la même façon qu’il évolue dans la série. Finalement, le dernier gros coup de KyoAni vis à vis de Haruhi est la danse du Hare Hare Yukai qui devient virale.

Danse du Hare Hare Yukai

Enfin, KyoAni joue de sa nouvelle popularité fulgurante en cachant des autos-références dans ses œuvres. Lucky Star de 2007 en est le parfait exemple puisqu’un des personnages est fan de Haruhi et que beaucoup des ses décors renvoient subtilement à d’autres licences de KADOKAWA. Plus encore, certains de leurs anime profitent d’un setup réaliste pour représenter des lieux proches du studio comme dans K-ON!, Haruhi, Clannad et même déjà Munto à l’époque. Cela permet par la même occasion à KyoAni de développer une esthétique et un univers propre qui a pour conséquence de plaire encore plus au public Otaku, avide de ce genre de références.

Crédits de l’arc Endless Eight
Auto-références à KyoAni

En somme, KyoAni obtient au fil des années une stabilité que nombreux lui envient. Le studio a donc profité de cette sérénité pour se positionner d’une part comme un studio majeur de l’industrie et d’autre part comme un pionnier dans la transition vers le numérique. La réputation du studio n’a fait que grandir durant cette première décennie du 2ème millénaire et il est considéré en 2010 comme un studio stable, sain et en avance sur son temps.

L’après 2010 : En route vers son apogée

L’objectif de Kyoto Animation est maintenant de s’emparer du marché japonais de l’animation. Pour cela, il leur faut étendre leur audience qui jusque-là était majoritairement constituée de la communauté « Otaku ». Avec la sortie du film La disparition de Haruhi Suzumiya en 2010, le studio marque un grand coup dans l’esprit du public japonais. Ishihara a laissé place à Yasuhiro Takemoto pour la réalisation de ce chef-d’œuvre considéré encore à ce jour comme la plus grande réussite de KyoAni. Le studio s’est surpassé pour créer un film d’animation prenant et riche, si bien que sa longueur de 162 minutes, faisant de lui le 3ème plus long film d’animation japonaise derrière Dans un recoin de ce monde version longue (168 minutes) et Space Battleship Yamato: The Final Battle (164 minutes), est loin d’être un défaut mais plutôt une qualité. KyoAni livre avec ce film d’anthologie la dernière œuvre de la série Haruhi qui a réussi à conquérir un public bien plus large que les fans originels du LN.

Le studio ne cesse de progresser et d’étendre son influence grâce à son organisation méticuleuse et à sa philosophie. Il commence ainsi à obtenir de plus en plus de contrôle sur ses productions en particulier en prenant de plus en plus de place dans les comités de production. Le rôle premier d’un comité de production est de réduire les risques de perte financière : c’est une équipe à part, composée d’acteurs du milieu qui participent à la création de l’œuvre en question comme le diffuseur TV, la société de production, l’éditeur du manga ou du LN… Le comité est donc là pour répartir les coûts de production entre les différents acteurs mais de ce fait, il divise également les bénéfices.

Les studios n’étant généralement pas capables de participer grandement aux coûts de production, ils gagnent la plupart du temps moins que les autres partis qui investissent plus. KyoAni a toujours été dans l’optique de tout créer par eux-mêmes et cherchent donc logiquement à investir un maximum dans leurs projets avec pour but de devenir majoritaire dans le comité. Cela octroie au studio une indépendance financière et créative non négligeable qui leur permet de véritablement mettre en œuvre leur philosophie.

En réalité, l’œuvre qui fit connaître le studio dans le monde entier et qui, même avant le film La disparition de Haruhi Suzumiya, permit au studio de se détacher de la communauté Otaku pour viser un public plus grand, est diffusée à la TV en 2009. En plus d’avoir été une aubaine pour la stratégie commerciale du studio, cette œuvre vit également émerger une des plus grandes réalisatrices de son histoire : Naoko Yamada. Cet anime qui eût un succès retentissant même en dehors du Japon, c’est le chef-d’œuvre K-ON!.

Originaire du milieu de la peinture et de l’illustration, la réalisatrice Yamada s’est d’abord vue confier la réalisation de certains épisodes de Clannad en 2007 avant d’obtenir les clés de K-ON!. En plus de Yamada, d’autres femmes talentueuses du studio se révèlent lors de la production de l’anime. En premier lieu, Noriko Takao s’imposa à la réalisation sur certains épisodes, puis Yukiko Horiguchi au chara-design et enfin Reiko YOSHIDA au script. Les trois se retrouvèrent sur toutes les productions TV suivantes de Yamada qui ne pouvait se passer d’elles dans son staff (Sauf pour Noriko Takao qui est parti du studio après la 2nd saison de K-ON!!). L’ambiance de ses séries ainsi que le fait que le main staff compte beaucoup de femmes dans ses rangs conférèrent aux œuvres de Yamada une réputation d’être mignonnes et féminines.

Loin du style pesant de Haruhi, K-ON! embrasse le courant Iyashikei qui décrit des œuvres douces, sans prises de tête et reposantes. Le succès de la série sut donc attirer un autre public que celui de Haruhi. Ses rediffusions notamment, illustrent parfaitement le fait que l’anime était considéré comme tout-public. D’une part, rien que le fait que l’anime ait eu le droit à des rediffusions est un bon indice de sa popularité. D’autre part, les horaires de ces rediffusions étaient loin d’être anodins : là où Haruhi et K-ON! étaient diffusés au départ à des horaires « otaku » (après minuit), les épisodes des rediffusions de K-ON! étaient montrés en pleine journée à un public plus large. Les ventes de Blu-ray et de DVD sont généralement aussi un bon indice de la popularité d’un anime. De fait, le succès de K-ON! se refléta aussi dans ses ventes qui atteignirent un record dès le premier jour avec un total de 33k BR et 8k DVD écoulés. En 2011, la série affichait un score de vente historique de 500k BR et DVD écoulés en l’espace de 2 ans. Le succès de K-ON! fut donc un pilier majeur dans la stabilité financière de KyoAni qui réussissait de plus en plus son pari d’être complètement indépendant et de conserver cette liberté artistique qui lui tenait tant à cœur.

Fort de ce succès planétaire, le studio enchaîna les productions en restant fidèle à son esthétique et à sa philosophie. Trois réalisateurs en particulier se partagèrent les œuvres à succès du studio. Ishihara réalisa Nichijou en 2011, Love, Chunibyo & Other Delusions! en 2012, et enfin Hibike Euphonium en 2015, une des séries phares de KyoAni.

Takemoto, de son côté, réalisa le chef-d’œuvre Hyouka en 2012, puis Amagi Brilliant Park en 2014 et finalement Kobayashi’s Dragon Maid en 2017. Notons par ailleurs qu’il était à l’initiative de l’adaptation du light novel d’Amagi Brilliant Park, écrit tout comme Full Metal Panic! par son ami Shōji Gatō. Cependant, KADOKAWA se braquant de plus en plus à financer des productions courtes de 12 épisodes, Hideaki Hatta et Takeshi Yasuda, producteur de KADOKAWA, s’associèrent pour demander à TBS de financer l’émission par l’intermédiaire du producteur Yoshihisa Nakayama. La collaboration TBS/KADOKAWA était inédite et fut seulement possible grâce au réseau de connexions qui s’était construit par le passé entre les 3 partis. Cette association de producteur restera néanmoins unique car chacun vise des objectifs différents en termes de production de séries d’animation à l’avenir.

Enfin, Yamada réalisa Tamako Market en 2013, un petit échec commercial qui l’orienta plutôt vers des films comme Tamako Love Story en 2014 suivi des géniaux A Silent Voice en 2016 et Liz et l’Oiseau bleu en 2018. évidemment il était très courant que ces réalisateurs s’entraident sur leurs productions respectives pour toujours produire un travail de la plus grande qualité possible. En parallèle, la filiale AniDO se propulsa en 2013 grâce à la sortie de Free! qui vit se révéler encore de nombreux talents du studio et en particulier la réalisatrice Hiroko Utsumi et le chara-designer Futoshi Nishiya.

En effet, la question du chara-design a traversé les époques du studio et de nombreuses évolutions ont vu le jour depuis les années 2000 jusqu’à Nishiya. Au début des années 2000, c’est Tomoe Aratani qui occupe le rôle de chara-designer pour les œuvres Munto et Air. Son style est assez difficile à animer car il comporte beaucoup de traits et des yeux imposants.

Le successeur de Aratani, Kazumi Ikeda reprend le style de sa prédécesseur et c’est seulement avec Shōko Ikeda sur Haruhi que le style se simplifie et abandonne la lourdeur des lignes d’Aratani. Il faut attendre l’arrivée de Yukiko Horiguchi pour voir une vraie évolution dans le chara-design du studio avec ceux de K-ON! : les personnages sont plus petits et potelés et sont dessinés avec des traits légèrement plus gras. L’influence de Horiguchi ne s’est pas estompée malgré son départ en 2014 et encore aujourd’hui, son style se ressent dans le chara-design du studio. Néanmoins, le prodige Futoshi Nishiya est parvenu sur Free! à apporter un renouveau dans l’esthétique des personnages de KyoAni. Contrairement aux œuvres précédemment citées, le casting de l’anime de sport est principalement masculin. Le chara-designer a donc dû innover pour que les personnages paraissent crédibles : tout en opposition au style de Horiguchi les lignes sont fines et les corps longs et élancés.

Character design de Air (Tomoe Aratani), Haruhi (Shōko Ikeda), K-ON! (Yukiko Horiguchi), Free! (Futoshi Nishiya)
Character design de Air (Tomoe Aratani), Haruhi (Shōko Ikeda), K-ON! (Yukiko Horiguchi), Free! (Futoshi Nishiya)

Malgré tout, le studio s’est aperçu que cette esthétique nouvelle fonctionne aussi parfaitement avec les personnages féminins, en témoigne le film Liz et l’Oiseau bleu de 2018 qui peut être vu comme l’apogée du studio sur le plan artistique.

Character design de Liz et l’Oiseau bleu
Character design de Liz et l’Oiseau bleu par Futoshi Nishiya

KyoAni a mis du temps avant de trouver son public, mais petit à petit et au fil des productions, de plus en plus de spectateurs se sont intéressés aux œuvres du studio. Leur réputation a évolué au cours du temps, ciblant d’abord la communauté Otaku fan du matériel de base des adaptations comme Haruhi, ils ont conquis un public plus large, même si toujours de niche avec K-ON! et Nichijou. Ces anime avaient cependant une image relativement controversée en occident où la culture japonaise est parfois mal comprise. C’est donc seulement avec ses chefs-d’œuvre plus récents et mieux distribués, que sont notamment A Silent Voice dans les cinémas et Violet Evergarden sur Netflix, que KyoAni a fait l’unanimité auprès de la communauté mondiale.

Conclusion

Kyoto Animation est donc un studio unique dans l’industrie. Il faut comprendre que ce qui a rendu le studio si spécial est une combinaison de facteurs tous alimentés par une idée originelle : celle de créer intégralement leurs propres œuvres. Ils ont toujours cherché à avoir la plus grande part possible des comités de production, jusqu’à parvenir dans la décennie 2010 à devenir majoritaire sur quasiment toutes leurs productions. Les Hatta avaient une vision très claire dès le départ, ils ont eu de la chance et du succès, et ont réussi à prendre le contrôle de toute la pipeline de création d’un épisode. Cela leur a été permis par une stabilité à toute épreuve et une excellente gestion financière : en négociant les droits des oeuvres qu’ils exploitent, ils obtiennent la possibilité de vendre des produits dérivés. En situant leurs studios à Kyoto, ils réduisent le coût global de la vie de leurs employés et du leur; et en produisant l’intégralité de leurs oeuvres « in-house », ils rendent leurs dépenses beaucoup plus régulières d’une production à l’autre.

Enfin, le parfait exemple de cette philosophie unique, qui a animé KyoAni depuis ses débuts, n’est autre que la création de leur propre label KA Esuma et des KyoAni Awards. Le principe de ces awards est que les Mangaka qui viennent proposer leurs œuvres ont la possibilité s’ils gagnent d’être édités chez KA Esuma dans l’optique d’un jour recevoir une adaptation animée par le studio. Ainsi, la stratégie de KyoAni de tendre vers une totale indépendance vis à vis des autres acteurs du milieu était risquée à l’origine car moins intéressante à court terme. Néanmoins elle a payé à long terme et a fait du studio un des représentants majeurs de l’industrie avec une excellente réputation et une philosophie unique.

Malheureusement, le 18 Juillet 2019, le temps s’arrêta subitement.

Un homme entra par effraction dans l’un des deux studios de Kyoto Animation situé à Kyoto. Il versa alors plusieurs bidons remplis d’essence avant d’y mettre le feu, ce qui provoqua l’un des incendies les plus meurtriers du Japon du 21ème siècle. L’incendie toucha toutes les générations possibles allant de jeunes qui venaient à peine de rejoindre le studio à des piliers présents depuis les débuts : Yasuhiro Takemoto, Yoshiji Kigami, Futoshi Nishiya et d’autres perdirent la vie dans cet incendie criminel.

Le studio fut bien entendu très durement affecté par l’incident et il lui fallut plusieurs mois pour retrouver une activité correcte. En Novembre 2019, l’école de KyoAni rouvre; le studio et sa filiale AniDO fusionnent pour compenser les pertes, centraliser les productions et récupérer de la main d’œuvre. De plus, des levées de fonds sont organisées et de nombreux fans et même des entreprises participent et font des dons pour aider le studio. Il faudra évidemment du temps pour soigner les traumatismes et pour que les nouvelles recrues soient formées et puissent remplacer le personnel perdu dans l’incendie.

Nous sommes en 2022 et la saison 2 de Tsurune a été annoncée pour début 2023, un OVA de Hibike puis la saison 3 pour 2024. Le studio continue et continuera de nous faire vibrer malgré cette attaque criminelle qui causa des pertes humaines irremplaçables.

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